lundi 17 novembre 2014

Art et économie humaine



Le monde comme il va, acrylique sur toile, 91 x 122 cm, 1999

Économie humaine

Vernissage mercredi 19 Novembre à partir de 18h30
Commissaire : Paul Ardenne
Commissaire associée : Barbara Polla

Espace d’art contemporain HEC | 20 Novembre 2014 au 6 Mars2015 |
Direction : Anne-Valérie Delval | Coordination : Maxime Chevillotte |

Scénographie : Maxime Chevillotte & Hélène Maslard |Accueil des publics : Hélène Maslard

Burak Arikan | Conrad Bakker | Yann Dumoget | IKHEA©SERVICES | Hervé Fischer |Sean Hart | Marc Horowitz | Joël Hubaut |Pierre Huyghe | Ali Kazma | Florent Lamouroux | Tuomo Manninen | Adrian Melis | Deimantas Narkevičius |Lucy + Jorge Orta | Jean Revillard | Camille Roux | Edith Roux |Benjamin Sabatier | Julien Serve | Zoë Sheehan Saldaña | Paul Souviron |

L’art contemporain au prisme de l’actualité économique


Cette exposition se propose d’inventorier les rapports que les artistes plasticiens
entretiennent aujourd’hui avec le monde de l’entreprise et, plus largement, avec l’économie à l’heure de la globalisation. Les approches y sont de deux ordres :
1. la saisie « plasticienne » du monde de l’entreprise, de l’économie et de la production ;
2. le jeu avec les indicateurs économiques et l’univers de l’entreprise.
L’accent mis ici sur la créativité et le regard des artistes sollicités pour cette exposition tendent à humaniser le monde du travail et de l’économie. Ils restituent à l’homme une place d’acteur conscient, lucide et concerned.
Pourquoi cette exposition ? Pour signifier que l’économie n’est pas exclue des
préoccupations de nombre d’artistes contemporains. Pour signifier, encore, comment la vision artistique de l’économie en vient à « humaniser » celle-ci : en la mimant, en la détournant ; en en élargissant, parfois jusqu’à l’absurde, les pratiques ; en en faisant un sujet non plus de tension, mais bien de décontraction.
Dans les symboliques de nos sociétés, beaucoup d’importance est accordée au politique et bien moins à l’économie matérielle. Si l’économie ne dirige pas, ou pas toujours, le politique, reste que la dimension économique n’est jamais seconde. Le matérialisme n’existe pas en tant que tel : l’économie, elle aussi, « écrit » une symbolique, elle ne manque jamais de s’inscrire dans des représentations du monde, au-delà de sa réalité concrète.
Inévitablement, les artistes s’y intéressent, notamment les artistes plasticiens qui retiennent, dans cette exposition, notre attention. Curieusement cependant, l’histoire de l’art est chiche œuvres consacrées au thème économique. Quand ces œuvres existent, par surcroît, elles sont là surtout pour maudire l’économie. Celle-ci, à travers le travail et l’exploitation matérielle, dégraderait l’humain. Ce
bannissement de l’économie est l’un des thèmes privilégiés du christianisme primitif : le Christ a chassé les marchands du Temple et, ce faisant, a fait valoir le primat du symbolique sur l’économie.
Le protestantisme, on le sait, modifiera en profondeur le rapport à l’économie. Pour un protestant, la réussite économique est conditionnée par la morale religieuse : le succès dans le Beruf (travail) est un signe d’élection. Cette requalification positive de l’économie n’induit pas pour autant une création artistique à sa gloire. Les œuvres d’art qui ont trait à l’économie, avant le XXe


siècle, demeurent peu nombreuses : quelques portraits de banquiers dans la peinture flamande ; quelques représentations de marchands, de villes et
des activités humaines ; des vues de marchés, de foires, de ports…
Il faut attendre la modernité pour voir l’économie trouver dans le champ de l’art une représentation plus consistante, et plus incisive aussi. Cette représentation suit deux axes : un axe sibyllin (on joue avec l’économie), un axe critique (on dévalue le rôle de l’économie, on le stigmatise).
Pour l’axe sibyllin, citons Marcel Duchamp, qui paie, en 1919, son dentiste avec un chèque qu’il dessine, ou Yves Klein, avec ses Zones de sensibilité picturale immatérielle – des feuilles d’or sont échangées contre un simple bout de papier mentionnant la transaction. Encore, la fameuse série des Merda d’artista de Piero Manzoni, quelque 90 boîtes de conserve, dans lesquelles ce facétieux créateur italien a mis ses excréments, vendues au poids de l’or…
Quant à l’axe critique, celui-ci met en valeur l’idée que l’économie est au fondement de l’inégalité matérielle et par conséquent sociale entre les humains. Toute une peinture « sociale », favorisée notamment par l’idéologie communiste, fleurit sur ce concept, portraiturant des travailleurs exploités dans des lieux de travail dégradants. L’économie ainsi représentée ? Une calamité humaine.
Quid enfin de l’économie quand on est artiste plasticien aujourd’hui ? Le point de vue des artistes a maturé : il se défie des caricatures et des simplifications. Lucide, pondéré souvent, engagé parfois, l’artiste entend d’abord témoigner de ce qu’est l’ « économie ». Au-delà des clichés, il goûte aussi de jouer avec l’économie, en en détournant les principes, notamment au travers de l’art participatif et en créant des circuits économiques parallèles. L’art produit ainsi une modulation singulière du rapport de l’homme contemporain au matérialisme : il rematérialise l’économie sous des formes déviées et nous convie à mieux regarder l’économie réelle. L’artiste fait ici la preuve qu’il n’est ni médusé ni dépassé par l’économie. Il adopte une position d’acteur, à sa mesure et avec ses propres armes.

Paul Ardenne, commissaire de l’exposition
Barbara Polla, commissaire associée



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